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Les clients des fonds mutuels sont-ils vraiment « smart » ?
21/03/2023

Article

Les clients des fonds mutuels sont-ils vraiment « smart » ?

Il est usuel de considérer que les clients des fonds mutuels sont des investisseurs plus sophistiqués (smart investors) que ceux qui se contentent de déposer leur épargne sur des livrets bancaires, des comptes à vue ou des comptes en euros. Leur comportement d’investissement répond-il vraiment au principe financier de rationalité davantage que celui observé dans la moyenne de la population ?

Les clients des fonds mutuels sont-ils vraiment
par Pascal Quiry

Il est usuel de considérer que les clients des fonds mutuels sont des investisseurs plus sophistiqués (smart investors) que ceux qui se contentent de déposer leur épargne sur des livrets bancaires, des comptes à vue ou des comptes en euros. L’écrasante majorité de ces clients est formée de ménages (plus de 90 % depuis l’an 2000 sur le marché américain). Leur comportement d’investissement répond-il vraiment au principe financier de rationalité davantage que celui observé dans la moyenne de la population ?

Fonds mutuels : un investissement à l’aveugle ?

Les modèles théoriques considèrent presque toujours que la concurrence entre les fonds se joue sur leur performance financière effective compte tenu du risque. Autrement dit sur l’alpha généré sur le long terme par les fonds. Tel devrait être le cas si les clients étaient rationnels. L’article que nous présentons ce mois apporte des éléments empiriques forts en défaveur de cette hypothèse. Les clients des fonds mutuels semblent peu rationnels. Ils investissent naïvement selon la performance absolue des fonds sans tenir compte des effets liés aux mouvements de marché, et en ignorant les modèles d’évaluation.

La première partie de l’article porte sur les critères utilisés par les clients dans leur choix d’investissement. Il apparaît que les deux critères les plus suivis sont la note attribuée par Morningstar et la performance passée. L’effet de performance s’observe tant :

  • en coupe transversale (les clients se dirigent vers les fonds ayant été performants)
  • qu’en série temporelle (les montants investis augmentent après une période de hausse des marchés).

En série temporelle, la performance passée explique 15,9 % des montants versés et constitue le seul critère statistiquement significatif. En particulier, l’alpha généré par les fonds n’a pas de conséquence sur les investissements.

Fonds passifs : attention à l’analyse des performances passées

Un élément particulièrement convaincant identifié par les auteurs concerne le comportement des clients des fonds passifs. Ils retrouvent les mêmes mouvements liés à la performance passée, alors que les fonds se contentent de répliquer un indice. Par ailleurs, les flux vers les fonds actifs et passifs augmentent conjointement suivant les périodes de hausse des indices. Les clients se comportent comme s’ils supposaient que la performance passée présumait de la performance future, quels que soient les conditions de marché ou le risque pris, et même lorsque le fonds est géré passivement.

Concernant le choix entre fonds actifs, la note Morningstar exerce aussi une influence significative. Le fait d’avoir la note maximale (5 étoiles) compte bien davantage que l’alpha obtenu. Et ce quel que soit le modèle d’évaluation retenu. En 2002, le système de notation Morningstar a connu une révision importante. Après la réforme, les fonds sont notés selon le style d’investissement (value ou growthlarge ou small caps), alors que cet élément était précédemment ignoré. Cette catégorisation permet de retirer de la note les effets liés à la surperformance d’un style pendant une période donnée.

Les auteurs montrent que la réforme n’a pas eu de conséquence sur la manière dont les clients intègrent la note Morningstar dans leur choix d’investissement. Lorsque la note augmente, les flux vers le fonds concerné augmentent autant que précédemment (d’environ 0,5 % par mois), alors même que la méthode de calcul a changé. Si le suivi de Morningstar n’était que la conséquence de sa corrélation avec la compétence effective des gestionnaires, la réforme aurait dû modifier l’effet de la notation sur les comportements d’investissement.

Conclusion

L’intérêt de cet article réside en une prise de position très nette, et empiriquement fondée, sur une question non tranchée de la littérature financière : les clients des fonds mutuels fondent-ils leurs choix d’investissements sur des critères de performance financièrement reconnus ?

Pour les auteurs, la réponse est clairement négative. Les flux vers les fonds mutuels s’expliquent par les signaux les moins sophistiqués : performance passée et note Morningstar considérée indépendamment de la méthodologie. Les théoriciens qui fondent leurs modèles sur des hypothèses de forte rationalité des investisseurs devront peut-être revoir leur copie…

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université