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Sur le marché du crédit (hors marché obligataire), certaines entreprises empruntent directement auprès d’intermédiaires financiers tels que des fonds d’investissement, sociétés d’assurance, fonds de private equity ou de capital-risque ou autres sociétés d’investissement non reconnues comme établissements de crédit. On parle de crédit non bancaire.
Sur le marché du crédit (hors marché obligataire), certaines entreprises empruntent directement auprès d’intermédiaires financiers tels que des fonds d’investissement, sociétés d’assurance, fonds de private equity ou de capital-risque ou autres sociétés d’investissement non reconnues comme établissements de crédit. On parle de crédit non bancaire.
Il s’agit bien de finance intermédiée car ces structures se refinancent auprès de leurs clients, mais la particularité réside en l’absence de banque commerciale pour organiser un crédit syndiqué. L’article de ce mois[1] cherche à expliquer les raisons du succès croissant de ce mode de financement et à en étudier les conséquences. Il montre que le succès provient essentiellement de contraintes réglementaires subies par les banques, et pas d’un avantage de prix dont bénéficierait l’emprunteur en évitant l’intermédiaire bancaire.
L’étude statistique se concentre sur des entreprises de taille moyenne (à l’échelle des sociétés cotées), ayant un chiffre d’affaires compris entre 10 M$ et 1 Md$. La période étudiée est celle comprise entre 2010 et 2015. Le lecteur fidèle de cette chronique remarquera qu’il s’agit une nouvelle fois d’une étude portant sur les sociétés cotées, alors même que la question posée s’applique aussi bien aux sociétés non cotées. Cette approche est souvent utile pour la recherche en finance : les sociétés cotées fournissent beaucoup plus d’informations, et l’inclusion des non cotées réduirait les possibilités pour le chercheur d’étudier les conséquences du phénomène.
Pour autant, lorsqu’il existe de bonnes raisons de penser qu’une question trouverait des réponses différentes pour les sociétés cotées et non cotées, des études spécifiques peuvent être menées[2].
Au total, un tiers des contrats de crédit observés dans cet échantillon est non bancaire. Les entreprises qui ont recours à ce type d’emprunts sont en moyenne moins profitables, moins rentables, plus risquées et plus endettées que les autres. Le déterminant le plus marquant, et de très loin, porte sur le niveau de l’EBE. Lorsque celui-ci est négatif, la probabilité d’avoir recours à l’emprunt non bancaire augmente de 32 % ! Les auteurs identifient un net effet de seuil lorsque l’EBE passe en négatif. Ils notent que le contrôleur fédéral des banques américaines (Office of the Comptroller of the Currency, OCC) considère les prêts aux entreprises non profitables comme étant de mauvaise qualité et les pénalise dans leur système de notation (CAMELS). En pratique, ce sont les banques supervisées par le système fédéral que ces entreprises évitent ; elles se tournent quand elles le peuvent vers les banques soumises aux régulations de l’État (qui ne subissent pas cet effet de seuil), et alternativement vers le crédit non bancaire.
Pour la même raison, le dépassement d’un ratio dette/EBE égal à 6 conduit à éviter ce genre de banque. Si une analyse financière ou une analyse crédit bien menée consiste à prendre en compte les situations spécifiques dans l’interprétation des ratios, il existe en finance des seuils psychologiques que l’on retrouve jusque dans les recommandations des régulateurs et qui sont porteurs d’effets réels ; le niveau 6 du ratio dette/EBE en fait partie aux États-Unis.
Concernant les effets pour l’emprunteur, l’idée selon laquelle le crédit non bancaire serait moins cher est totalement rejetée. C’est l’inverse qui est vrai : à caractéristiques de prêt équivalentes, le non bancaire est sensiblement plus cher (167 points de base).
Le plus intéressant est que cet effet est entièrement dû aux entreprises à EBE négatif ou à ratio d’endettement supérieur à 6. Celles à EBE négatif paient 254 points de base de plus en passant par le non bancaire ! Cette observation confirme que les entreprises dans cette situation passent par le non bancaire par contrainte plutôt que par choix et que les prêteurs profitent de l’absence de concurrence bancaire pour augmenter les prix.
Dans ce genre de travaux, il faut vérifier que les effets prix ne sont pas compensés par des garanties exigées différentes. Les prêts non bancaires incluent beaucoup moins fréquemment de clauses de remboursement (covenants), mais plus fréquemment des warrants permettant aux prêteurs d’entrer au capital (et de profiter par exemple d’une acquisition). Finalement, la probabilité de défaut et la rentabilité pour les emprunteurs ne sont pas significativement affectées par le choix entre bancaire et non bancaire, lorsque ces derniers ont le choix. Les auteurs insistent sur le fait que ces effets montrent l’aspect arbitraire (et psychologique) des seuils d’EBE (0) et de taux d’endettement (6).
Deux idées fortes sont à retenir de cet article. Premièrement, les emprunts non bancaires rencontrent du succès parce qu’ils offrent une solution de financement par dette à des entreprises limitées dans leur accès aux crédits syndiqués par des seuils arbitraires qui affectent les notations. Secondement, ces crédits ont un coût comparable aux crédits bancaires, sauf justement pour les sociétés qui sont obligées d’y recourir et paient plus cher en raison d’une moindre concurrence entre les prêteurs.
[1] S. Chernenko, I. Erel et R. Prilmeier, « Why do firms borrow directly from nonbanks? », The Review of Financial Studies, 2022, vol. 35(11), pages 4902 à 4947.
[2] Voir par exemple les articles des Lettres Vernimmen.net nos 206 et 207 de mars et avril 2023.