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Le choix d’une structure financière est une des clés de voûte de la finance d’entreprise. C'est pour aider au rééquilibrage de ces structures que la Commission européenne la proposition de Directive « DEBRA ». L'objectif ? Encourager les entreprises à financer leurs investissements par des apports en fonds propres, au lieu de recourir à des emprunts.
La théorie nous aide peu dans le choix d’une structure financière optimale, car les marchés financiers sont le plus souvent à l’équilibre. Et toutes les sources de financement ont le même coût pour l’entreprise compte tenu de leur risque. Comme il n’existe pas de structure financière optimale, le choix entre dette et capitaux propres va dépendre d’éléments pratiques :
À ces facteurs, il convient d’ajouter la politique économique et fiscale qui pourront orienter l’investissement vers les capitaux propres ou vers la dette. La déductibilité des intérêts (et la non-déductibilité du résultat net ou des dividendes) favorise mécaniquement la dette. Ainsi, le coût réel de l’endettement supporté par l’entreprise n’est égal qu’au taux payé au prêteur multiplié par (1 – taux d’imposition). Le coût supporté est donc plus faible que le taux de rentabilité perçu par le créancier.
L’État subventionne ainsi le recours à l’endettement. Les pouvoirs publics perçoivent cette dissymétrie entre dette et capitaux propres et plusieurs mécanismes ont été mis en œuvre pour l’atténuer. Au-delà du manque à gagner sur l’impôt du fait de la déductibilité des intérêts, l’excès de dette peut avoir, au niveau national, un coût financier et social important. En effet, un endettement des entreprises important fragilise le tissu industriel et augment donc le nombre des faillites en cas de crise. Or, la faillite n’est malheureusement pas un jeu à somme nulle, mais engendre des coûts et des inefficiences.
Différents mécanismes ont été mis en place au cours du temps pour rééquilibrer l’attractivité fiscale des capitaux propres et de la dette. Ces politiques ont visé :
Ainsi, la France a mis en place dès après la Seconde Guerre mondiale des règles limitant la déductibilité des intérêts pour les sociétés sous-capitalisées. En 2012, la loi est devenue plus contraignante en limitant à 85 % (puis 75 % en 2014) la déductibilité des intérêts (communément appelée le « rabot fiscal »). En 2019, une option différente a été retenue avec la limitation de la déductibilité des intérêts à 30 % de l’EBE (au-delà de 3 M€ d’intérêts), s’alignant ainsi sur les États-Unis et la plupart des pays européens (Allemagne, Belgique, Grèce, Italie, Royaume-Uni…).
Certains pays ont par ailleurs mis en place des mesures favorisant les capitaux propres. Le mécanisme le plus commun est une déductibilité d’intérêts notionnels sur les capitaux propres ou sur les capitaux propres marginaux. Un taux d’intérêt notionnel est donc appliqué aux capitaux propres ou aux capitaux propres additionnels depuis une certaine date (soit depuis l’année passée, soit depuis la mise en œuvre de la loi), ces intérêts fictifs sur le capital sont alors déductibles de la base imposable. De nombreux pays ont mis en place de telles mesures (Belgique, Italie, Portugal, Pologne, Suisse, Turquie).
En revanche, les taux retenus pour l’application de l’intérêt notionnel sont très disparates : entre moins de 1 % en Belgique et 7 % au Portugal…
Appelé « DEBRA » (Debt-Equity Bias Reduction Allowance), le projet de directive devrait harmoniser dans l’Union européenne les règles d’attractivité fiscale de la dette et des capitaux propres. Ce texte prévoit à la fois :
La Commission part du constat que les entreprises européennes sont dans l’ensemble trop endettées. La directive vise donc à diminuer sur le long terme l’endettement des entreprises.
Pour ce faire, DEBRA propose deux mécanismes :
Avec un plafond à 30 % de l’EBE. En cas d’insuffisance du résultat imposable, le projet prévoit une possibilité de report sur les 10 prochains exercices.
Pour produire un texte approuvé à l’unanimité des 27 pays membres, la Commission européenne a lancé un appel à commentaires jusqu‘au milieu de l’été. La transposition dans les dispositifs nationaux est prévue pour 2023, pour une application au 1 er janvier 2024. Sur le fond, rien de très novateur. On retrouve les différents mécanismes mis en place par certains pays. Remarquons que le retour au rabot fiscal, abandonné par la plupart des États, est étonnant alors qu’un consensus semblait avoir été trouvé pour mettre un plafond à la déductibilité des intérêts à 30 % de l’EBE.
Par ailleurs, le taux retenu pour le calcul des intérêts notionnels s’éloigne très fortement d’un coût des capitaux propres. Avec une prime de risque de marché de l’ordre de 7 %, retenir une prime de 1,5 % fait apparaître un bêta moyen de 0,2… Il ne s’agit donc pas de rendre déductible le coût des capitaux propres, mais simplement de gommer la différence de traitement fiscal avec la dette. S’appliquant aux capitaux propres marginaux, l’effet risque d’être assez ténu aussi bien sur les recettes fiscales que sur l’incitation à accumuler des capitaux propres. Dans un univers inflationniste, conserver du cash oisif ne semble pas optimal.
À noter que la règle peut entraîner une hausse de l’impôt si l’entreprise a vu ses capitaux propres baisser pour une raison autre que des pertes ou une contrainte réglementaire de réduire ses capitaux propres. DEBRA s’accompagne d’un certain nombre de règles pour éviter le contournement du texte et un double comptage des capitaux propres. Nous risquons donc à notre grand regret de voir à nouveau les règles fiscales se complexifier… N’aurions-nous pas pu simplement annuler la déductibilité des intérêts financiers, mettant ainsi sur un même niveau, d’un point de vue fiscal, les capitaux propres et la dette ?
Nous entendons déjà les détracteurs de cette proposition crier au manque d’attractivité fiscale de l’Union européenne si cette mesure était adoptée. Nous ne le croyons pas. Cette proposition fera certainement plus grincer des dents dans un univers de taux haussiers. Mais avec des taux d’impôt sur les sociétés de l’ordre de 25 % et des taux d’intérêt à 2 ou 3 % au maximum, nous ne pensons pas que le manque à gagner annuel égal à 0,5 ou 0,7 % du montant de la dette soit de nature à déséquilibrer une opération ou justifier un transfert de siège social !