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Faire faillite et se restructurer en 2023
02/05/2023

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Faire faillite et se restructurer en 2023

Nous avons organisé une table ronde sur la faillite et la restructuration des entreprises en 2023 avec Hélène Bourbouloux, fondatrice et associée gérante du cabinet d’administrateurs judiciaires FHBX, et Pierre-Olivier Chotard, secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), dont voici la retranscription.

Faire faillite et se restructurer en 2023
par Pascal Quiry

Il y a eu une réforme en 2021 sur le droit des faillites, qui est bien sûr dans le chapitre 50 du Vernimmen, peux-tu Hélène nous en donner les grandes lignes ?

Hélène Bourbouloux :

Oui bien sûr. Cette ordonnance du 15 septembre, qui est en œuvre et mise en application au 1er octobre 2021, vient parachever un mouvement qui a été assez progressif dans les 20 dernières années en France, qui nous a valu probablement une réforme tous les deux ans. Donc une difficulté quand même à stabiliser le paysage réglementaire pour traiter du droit des entreprises en difficulté, mais qui inscrit en fait le traitement dans un standard qui correspond aux normes internationales. On se rapproche de plus en plus de l’ajustement et d’un traitement des difficultés au vu de la valeur de l’entreprise, permettant de reconnaître aux créanciers des droits disparates selon en fait leur rang dans la hiérarchie des stakeholders. Donc c’est un parachèvement, puisque cette construction avait commencé avec les comités de créanciers en 2006, mais qui était un univers qui fonctionnait mal puisqu’on mélangeait des choux et des carottes, des banques d’un côté, des obligataires de l’autre, sans trop se poser la question de savoir s’ils étaient sécurisés ou non sécurisés.

La grande nouveauté qui était très attendue, et qui était une faiblesse de notre dispositif en France, c’est que l’actionnaire était considéré comme le propriétaire juridique de l’entreprise et non pas comme un créancier de classe ultime. Ce faisant, il y avait des outils qui permettaient finalement d’écraser des créanciers minoritaires dans certaines circonstances, alors que jamais on ne pouvait forcer à une transaction ou une restructuration un actionnaire, même avec une valeur de l’action en dehors de la monnaie[1]. Cela posait relativement peu de difficultés avec tous les actionnaires un peu sophistiqués et attentifs à leur réputation, notamment les fonds de private equity. Même si cela a parfois été un peu viril dans les négociations, globalement il n’y a pas de dossiers dans lesquels les fonds actionnaires auraient pris en otage la collectivité des créanciers. En revanche lorsqu’on avait des sociétés cotées avec un actionnaire de référence à 15 ou 18 %, il y a eu pas mal d’exemples en la matière. Évidemment pour imposer le deal, il fallait un vote favorable des actionnaires, et ces actionnaires, n’ayant plus droit à rien dans la valeur, n’étaient pas non plus intéressés à voter pour, et tant qu’à faire votaient contre le deal. Ce qui, là en revanche, piégeait toute la collectivité des créanciers de meilleurs rangs, y compris évidemment in fine l’entreprise. En effet, notre droit reste très ancré sur le sauvetage de l’entreprise avec un alignement des autres pays de la Communauté européenne beaucoup plus sur la France en termes de sauvetage de l’entreprise, considérant qu’il n’y a pas un créancier qui a en réalité intérêt à la liquidation.

C’est assez rare que les actifs réalisés en liquidation permettent un meilleur désintéressement des créanciers. J’en veux pour preuve des statistiques assez fortes sur le taux de désintéressement des créanciers dans le droit français, versus Allemagne et Royaume-Uni : en Allemagne : 22 %, en France : 21 %, donc on n’est pas totalement éloigné de la performance allemande, et seulement 13 % au Royaume-Uni, alors que l’on a à l’esprit une meilleure efficacité du droit anglo-saxon. À tort ! Alors d’où vient ce biais ? Le biais est en partie lié au fait que ce n’est pas les mêmes créanciers qui perçoivent. En France, on va trouver la classe des salariés, du Trésor Public, ensemble de créanciers qui viennent au premier rang et qui peuvent absorber une partie de l’actif, d’où cette perception. Mais si on regarde en masse globale du passif, on n’est pas hors des normes.

Donc ma dernière observation, c’est que c’est plutôt les autres pays qui ont introduit, dans leur transposition de la directive européenne, des modifications d’inspiration française, en particulier en intégrant la prévention et toutes les procédures de pre-insolvency et d’anticipation, en ce compris, alors ça c’est pas la lecture française, mais en ce compris les procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaires, qui sont vues en France comme souvent des échecs, alors qu’en réalité ce sont des vraies procédures de prévention au sens de la prévention de la liquidation judiciaire. Donc la France a un système beaucoup plus axé sur le maintien de l’activité vivante, mais au bénéfice de stakeholders qui doivent être l’ordre des contrats d’origine, c’est-à-dire plutôt les créanciers dans l’ordre de leurs droits, versus la liquidation, qui s’avère, de manière en fait européenne, perçue comme moins performante.

 

Et vous Pierre-Olivier, au CIRI, qu’est-ce que vous avez comme ressenti sur cette réforme du droit des faillites qui est entrée en application finalement assez récemment ?

Pierre-Olivier Chotard :

Je partage très largement ce que ce que Mme Bourbouloux vient de vous dire. Nous sommes très contents de cette réforme pour deux raisons. La première raison est que c’est une réforme d’harmonisation européenne, et c’est un changement par rapport au réformes récentes : il y a une vraie harmonisation forte au niveau européen, et évidemment c’est bon, parce que ça participe de l’approfondissement du marché intérieur, ça permet une meilleure allocation des ressources économiques sur le territoire de l’Union, et c’est bon pour nos économies parce que ça facilite et encourage les investissements transfrontaliers au sein de l’Union. Et puis deuxièmement, d’un point de vue plus franco-français, on est très contents de cette réforme parce que ça renforce le modèle français, et potentiellement, et on l’espère car c’est pour ça que l’on a négocié, la place de Paris. Cela renforce le modèle français parce qu’on a veillé, et ça a été obtenu, à préserver le modèle français de résolution amiable préventif des difficultés des entreprises, et donc l’ensemble des dispositifs préventifs dont on dispose en droit français qui ont été pleinement reconnus à l’occasion de cette directive. C’est une bonne chose.

Deuxièmement, c’est une réforme qui doit renforcer l’attractivité de la place de Paris pour les investisseurs, pour les raisons qu’Hélène Bourbouloux a rappelé, c’est-à-dire que c’est une réforme qui renforce le droit des créanciers vis-à-vis des détenteurs de titres de capital, et cela doit du coup renforcer l’appétence des investisseurs d’être créanciers des entreprises françaises. Et en droit français, parce que la réforme permet de lever un certain nombre de situations de blocage qui pouvaient intervenir, et qui ont été rappelées.

Enfin en complément de ce que vous disiez sur l’ajout de la réforme, c’est qu’on a mis un terme aussi à des phénomènes de durée excessive des procédures dans un certain nombre de cas, qui était pénalisant, parce que ça ralentissait les processus de restructuration. Les créanciers en étaient mécontents, parce que ça pouvait les enfermer dans des situations longues et non satisfaisantes au plan économique. Et toutes ces contraintes sont allégées, voire complètement supprimées avec la réforme.

Hélène qu’est-ce que tu as comme remontées du terrain, toi qui es non seulement basée en Île-de-France, mais avec de nombreux bureaux en province, sur le climat des affaires en difficulté en ce moment ?

Hélène Bourbouloux :

Alors la tarte à la crème qu’on lit, c’est finalement : « Il y a des difficultés, le moral des chefs d’entreprise l’exprime, il y a des retours du terrain, mais le nombre de faillites est toujours en deçà de ce qu’il était avant la covid. » C’est exact, mais c’est très insuffisant, et ce sont des déductions un peu hâtives. Sur la lecture que l’on doit donner du nombre de liquidations judiciaires, c’était déjà des chiffres trompeurs il y a 10 ans, ça l’est toujours. Donc oui, on a moins de faillites au sens large qu’avant covid, mais si on regarde à l’intérieur de ces chiffres-là, les sociétés qui sont sur des procédures de sauvetage, sauvegarde et redressement judiciaires versus liquidation judiciaire, en tout cas dans mon entreprise, on a, à fin juillet 2022, et c’est encore plus vrai aujourd’hui, le double. C’est le double depuis fin octobre. À fin octobre, on a exactement le double de dossiers de la même époque en 2021. Donc on a retrouvé quand même un rythme soutenu de défaillances dans les entreprises en sauvetage.

Pourquoi c’est important ? Parce que si vous prenez le nombre habituel d’entreprises en faillite bon an, mal an dans les 15 ans qui ont précédé le covid, c’est 40 000-42 000 les petites années, 60 000-65 000 juste après la crise des subprimes, et vous avez là-dedans plus des deux tiers, c’est-à-dire à peu près 40 000 sur 50 000 ou sur 60 000, peu importe, qui sont des entreprises entre 0 et 1 salarié, qui en fait sont sur des démarches de dépôt de bilan volontaire où il y a une demande d’arrêt d’activité, et donc de radiation judiciaire versus de radiation en liquidation amiable, qui serait plus longue et plus coûteuse.

Pendant les années covid, avec un soutien massif de l’économie, l’octroi d’un certain nombre de subventions de fonds de solidarité, ces entreprises ont pu solder les 10, 15 ou 20 000 euros qu’elles devaient à l’URSSAF, parce que c’est ça dont on parle en termes de quantum d’exposition de ces entreprises. Ok, peut-être 10 000 ou 30 000, mais en tout cas c’est très marginal sur l’ensemble. Donc ces entreprises ont disparu du système, là, pour le coup, elles ont eu le temps d’être liquidées amiablement, fermées proprement, là où elles l’auraient été judiciairement. Donc ce n’est pas anormal que ces sociétés-là aient disparu du nombre d’entreprises qui déposent le bilan.

Deuxièmement, et il faut rappeler que la valeur, l’impact et l’importance de l’entreprise et de ce qu’elle représente ne sont pas dans ces 40 000 avec zéro ou 1 salarié et un nombre tout à fait marginal de dettes : on va le trouver dans les 12 à 15 000 dossiers de redressement judiciaire ou de sauvegarde chaque année, dont 6 000 qui donnent lieu à désignation d’un administrateur judiciaire, étant précisé que le tribunal n’a pas d’obligation de nommer un administrateur lorsque l’entreprise emploie moins de 20 salariés. Ça veut donc dire qu’il y en a moins de 6 000 qui ont plus de 20 salariés dans celles que je viens d’exprimer. Vous avez bon an, mal an entre 400 et 500 entreprises qui déposent le bilan en employant plus de 50 salariés. C’est très faible 50 salariés. Donc 50 à 60 000 faillites, mais seulement même pas 1 %, 380, 400 on va dire, qui emploient plus 50 personnes. Et vous avez 30 dossiers par an de plus de 300 personnes, ça c’est assez constant, et ça englobe le redressement et la sauvegarde.

Tout ça pour vous dire que la richesse économique ou la valeur économique, elle est concentrée en fait sur un petit nombre de dossiers. D’où l’importance d’avoir un système performant pour des entreprises de taille plus importante. Et la réforme qu’on vient d’évoquer porte sur les classes de parties affectées avec l’obligation de constitution de créanciers par classe à partir de 250 salariés. Donc vous voyez, ça va concerner 15 dossiers par an au maximum, mais c’est dans ces dossiers-là que l’on va trouver le plus grand nombre d’emplois, le chiffre d’affaires le plus important, et aussi la dette la plus élevée.

Autre statistique importante pour casser les idées reçues : le sauvetage d’emploi en France dans les procédures collectives. Il n’y a pas de valeur morale en retenant ce critère d’emploi, mais c’est un critère qui est assez représentatif en fait du maintien de l’activité : il est de 68 %. 68 % de l’emploi concerné par une procédure collective est sauvegardé en procédure collective, soit à travers des plans de sauvegarde, des plans de redressement ou des plans de cession, ce qui est très significatif et établit que l’on n’a pas un mauvais système. On a un système qui est assez complexe, mais dans lequel on a une boîte à outils assez large, entre les outils de la prévention et les procédures collectives.

Donc je me suis éloigné de ta question, je veux pas l’occulter, je voulais juste que tout le monde ait le paysage pour pouvoir apprécier réellement ce qu’on peut dire.

On voit quoi ? On voit donc une remontée progressive des défaillances ou des difficultés d’entreprises depuis l’automne 2021, marquée d’abord par la pénurie : pénurie de main-d’œuvre ou de matières premières. C’était assez visible dans le bâtiment, et puis progressivement l’inflation qui s’est installée, avec évidemment une croissance des difficultés à partir du début de la guerre en Ukraine et de manière très forte et brutale depuis septembre.

Moi, c’est la première fois que j’ai en ce moment six dossiers qu’on était censé avoir terminés, c’est-à-dire clôturés par un accord, homologation d’un protocole ou arrêté d’un plan de sauvegarde entre juin et septembre, et où mi-octobre, voire début novembre, donc parfois un mois après l’audience, l’entreprise me rappelle pour me dire : « je vais avoir un problème de cash ». Je me dis : « mais c’est pas possible, votre business plan on l’a calibré pour les 5 prochaines années, on avait mis un peu de marge de manœuvre, et vous avez en trois mois absorbé votre marge de manœuvre ? » Ça, c’est le reflet de la difficulté à répercuter la hausse des coûts dans les prix, avec des vraies résistances de la part des grands donneurs d’ordres, dans l’automobile, dans l’aéronautique, qui suppose parfois qu’on fasse appel au CIRI pour avoir des coups de main pour obtenir cette répercussion des prix, et quand on l’obtient, elle est partielle. Mais c’est également le reflet évidemment du coût de l’énergie pour les industries les plus énergivores : sans surprise, la presse en parle, les dossiers comme Arc etc. qui ont pris de plein fouet cette hausse des prix de l’énergie, et qui aujourd’hui sont dans des stratégies de reconfinement d’une certaine manière, c’est-à-dire d’arrêt d’activité, ou de réduction d’activité le temps que ça passe, avec chômage partiel, avec des outils finalement qui ont été assez éprouvés pendant la période covid.

Et vous avez des secteurs comme le bâtiment, qui a été aussi confronté à cette inflation qu’on ne s’est pas répercutée, parce que les contrats ont été signés il y a un an ! Les carnets de commandes étaient pleins, on sortait du covid avec une bonne perspective, et puis, malheureusement, ces carnets de commandes s’avèrent aujourd’hui déficitaires. C’est aussi un deuxième secteur qui est assez marqué.

Enfin on a la parité euro-dollar qui ne nous arrange pas non plus : lorsque vous avez des entreprises de distribution ou textile, dont finalement on a l’impression que tout le monde s’acharne à leur inoculer la rage si elles ne l’avaient pas, puisqu’on les met en exergue comme : « le retail est mort », les banques veulent absolument sortir des crédits documentaires qui ne sont pas des instruments à risque, mais celui qui a 30 ou 40 millions de crédocs en euros, qui achète en dollars, d’un seul coup sa capacité d’achat a diminué de la différence de la variation de la parité. Et donc, là où il avait droit à 37 ou 38 millions de dollars, finalement avec ses 30 millions de crédocs il se retrouve avec sept ou huit millions en moins. Et ça compte aussi !

Pour parfaire le paysage, un premier semestre 2022 qui était plutôt pas mal sur des bases de 2021, un arrêt qui se passe au pire moment, c’est-à-dire qu’on était vraiment avec des prises de commandes et des achats qui avaient été passés et qu’il faut assumer, donc, à nouveau, un impact sur le business compliqué. Et lorsqu’on a fait les business plans de tous ces accords, on l’a fait sur la base des budgets de mars-avril, qui n’ont plus rien à voir avec ceux de novembre-décembre, ne serait-ce que quand vous prenez l’impact de l’inflation dans le BFR. Parce qu’en fait, quand vous regardez directement vos chiffres, on a oublié ça, parmi vous peu ont connu les années 70, moi j’étais très jeune mais je l’ai lu dans le Vernimmen, tout le marché était rodé à la répercussion des prix. C’est pas du tout le cas aujourd’hui, et donc vous regardez votre compte de résultat, vous dites : c’est bien, la croissance du chiffre d’affaires est formidable, mais en fait ce qu’il faut regarder, c’est les volumes parce que c’est assez normal qu’il y ait une croissance du chiffre d’affaires.

Et d’ailleurs vous vous dites : ils sont vraiment pas bons, parce que sur leurs résultats, il y a aucun impact. Ils sont pas mauvais, c’est juste qu’il y a un problème d’inflation, donc ça trouble aussi toutes les lectures antérieures. Voilà, j’ai répondu trop largement, mais je voulais vous ouvrir quelques pistes. Et donc il y a plus de défaillances. Il y en aura encore plus, et notre plus gros problème, c’est qu’on ne sait pas faire les plans d’affaires pour 2023 et 2024. Et donc il faut que tout le monde accepte collectivement qu’on trouve un accord, et que, peut-être, oui, il va falloir le retoucher dans 4 à 6 mois.

 

Et qu’est-ce que vous voyez, vous, en ce moment, au niveau des dossiers qui vous arrivent ?

Pierre-Olivier Chotard :

Je vois un constat partagé avec ce que disait Hélène Bourbouloux. Évidemment, remontée des dossiers, le contexte est compliqué, on a une multiplicité de cas. Évidemment, la situation n’est pas des plus roses. On n’est pas de notre point de vue cependant dans une situation catastrophique pour l’économie française. Moi de ma fenêtre, je n’assiste pas à l’arrivée du prétendu mur des faillites que certains annoncent. Alors peut-être, malheureusement, qu’il arrivera dans les trimestres qui viennent. En tout cas les signaux faibles qu’on perçoit ne nous montrent pas ça.

Et ce qu’on perçoit c’est plusieurs phénomènes. Il y a un phénomène qui est celui qui est directement lié à la situation inflationniste actuelle, notamment sur les prix de l’énergie, avec des entreprises qui ont leur plan d’affaires qui est complètement bouleversé, voire qui devient un non-sens économique du fait de la hausse de l’électricité et du gaz, dans le cas où ces entreprises ont malheureusement été mal couvertes contre une évolution des cours. Donc premier cas de figure, qui est finalement un cas assez rare avec une difficulté assez circonscrite, et, on l’espère, qui va pouvoir être résolu à court terme, enfin en tout cas dans une poignée de mois, et un ensemble de dispositifs publics ont été mis en place pour y répondre.

Deuxième grand type de difficulté qu’on a, c’est des entreprises qui ont bénéficié d’un soutien temporaire de l’État massif pendant le covid, avec en particulier levée de prêts garantis par l’État. Or sont des entreprises qui avaient une rentabilité initialement probablement insuffisante pour faire face à l’augmentation de cet endettement, et donc elles se retrouvent dans une situation qui est en réalité très compliquée, parce que se surajoutent deux couches : une première couche de PGE (prêt garanti par l’État) et d’augmentation de l’endettement qu’elles ont pris dans le cadre du covid, avec absence de mesure forte de restructuration de leur modèle économique, mais c’était normal parce que les 24 mois entre 2020 et 2022 n’étaient pas faits pour ça ; et puis au moment où il faut commencer à rembourser les PGE et envisager des mesures de restructuration opérationnelles là où c’est nécessaire, elles se retrouvent confrontées à cette vague conjoncturelle à laquelle on assiste tous, et qui complexifie très très singulièrement leur retournement. Et là, effectivement, la problématique est beaucoup plus complexe. Elle est multifacettes, comme ça a été rappelé, et là on peut avoir des enjeux particulièrement compliqués avec des équations difficiles pour les entreprises.

 

Dans Les Échos, on lisait que 91- % des patrons de PME anticipaient de bien rembourser leur PGE sans difficulté, mais que 9 % se sentaient mal. Qu’est-ce que tu leur conseillerais, à ces patrons qui se sentent mal sur leur PGE ?

Hélène Bourbouloux :

Déjà tu fais bien de le rappeler, 9 %, c’est beaucoup plus que ce qu’on avait en tête initialement, et je crois qu’une des grandes difficultés, c’est que lorsque beaucoup de PGE ont été mis en place en 2020, on pensait que la crise allait se circonscrire à cette année-là. Et donc des accords d’ailleurs qu’on révise actuellement sont parfois des accords qu’on a signés aussi en 2020. Il faut intégrer malheureusement la prolongation de la crise sur 2021, voire sur 2022 pour d’autres raisons, ou encore notamment pour toutes les industries qui travaillent et qui ont des unités de fabrication ou de production en Chine, avec encore un impact covid assez lourd[2] : j’avais un dossier hier où l’entreprise qui a une usine à Wuhan, donc évidemment eux, ils avaient commencé fin 2019, et ils ne sont toujours pas sortis de l’auberge ! Et je pense qu’ils n’y sont pour rien dans le covid, mais manifestement ça fait quand même trois fois qu’on retouche leur accord.

Il y a des solutions pour ces PGE : l’approche en France, enfin c’est quand même le reflet très largement de notre économie, on n’a pas une culture fonds propres très élaborée et très ancrée dans nos entreprises françaises, on a parfois même encouragé la création d’entreprise avec du capital à 1 euro ce qui concrètement veut dire que vous êtes en cessation de paiement dès que vous souscrivez le contrat EDF. C’était une façon de lutter contre le chômage, et après tout, ça a eu une vertu, celle de dynamiser beaucoup l’entrepreneuriat et de libérer des énergies individuelles vers l’entreprise dont je m’en réjouis, mais enfin c’est pas très sain sur le plan déséquilibre dettes-fonds propres.

Et dans cette ligne-là, l’État a choisi d’intermédier son soutien par les banques, qui se sont faites donc les dispensateurs de crédit avec la garantie de l’État. Alors plusieurs problèmes. Premièrement, d’abord, c’est que les banques reviennent à leur job. Enfin, c’est sûr que si elles demandent des équilibres dettes-fonds propres, vu que les fonds propres, pour ceux qui en avaient un peu, ont été laminés, c’est compliqué. Donc les banques sont maintenant très très attentives systématiquement à la garantie de l’État, et n’hésitent pas dans la discussion d’ailleurs à dire : « bon j’ai la garantie de l’État » pour faire des financements de telle ou telle nature. Donc on voit bien que le retour à l’accès au crédit qui était déjà pas très facile pour certains types d’entreprises ne l’est toujours pas, ne le sera pas. Moi je milite pour d’autres formes de sûreté et de crédit, et la réforme qu’on a évoquée tout à l’heure participe de cela.

Alors il y a des solutions, les services de Bercy et le CIRI en tête ont été particulièrement efficaces pour convaincre Bruxelles de laisser à la France quelques souplesses dans la discussion et l’aménagement des PGE, et il faut leur rendre hommage parce qu’ils ont vraiment porté cette question-là avec beaucoup d’efficacité. Je m’explique : aujourd’hui, la plupart des banques sont prêtes à réaménager ce crédit très peu risqué pour elles, pour autant que la garantie de l’État soit maintenue. Donc elles n’ont aucun problème à consentir à des allongements d’un an, deux ans, quatre ans, voire beaucoup plus parfois, on pourra le leur imposer dans une décision judiciaire, pour autant que la garantie de l’État soit maintenue. Alors la négociation de l’État français et des services de Bercy avec Bruxelles a consisté à dire : si on inscrit ce réaménagement de PGE, cette extension du PGE, voire des abandons de dette dans un environnement judiciaire ou semi-judiciaire, contrôlé au vu d’une situation globale, avec des efforts collectifs et pas uniquement porté par la puissance publique, acceptez-vous finalement qu’on maintienne notre garantie au-delà des 6 ans ?

Alors c’est le cas soit des petits PGE, moins de 50 000 euros, en saisissant la médiation du crédit, mais pour la plupart des entreprises que nous accompagnons, la simple ouverture d’une conciliation, le réaménagement des PGE dans le cas de la conciliation, permet de maintenir la garantie de l’État. Mais il faut que la conciliation soit conclue par un protocole, et ce protocole, il faut le faire constater par le président ou homologuer par le tribunal. Alors l’homologation, on peut considérer que c’est un peu lourd, ça crée quand même une publicité, c’est un jugement, souvent une négociation un peu pénible pour aboutir jusque-là, mais le constat de l’accord c’est une décision prise dans son bureau par le président, qui n’a aucune publicité, dont personne n’est jamais informé.

Et donc on assiste, et c’est une bonne chose, à un recours croissant aux outils de prévention, à la procédure de conciliation, et au mandat ad hoc par des petites entreprises qui du coup viennent pour un diagnostic beaucoup plus global. Et ce qu’on observe dans le phénomène PGE, c’est que, bien sûr, et banques et emprunteurs ne voudraient toucher qu’au PGE. Mais la règle, c’est que l’endettement soit globalement traité. Pierre-Olivier Chotard en dira beaucoup plus que moi parce que c’est un point de vigilance systématique pour l’État, mais y compris pour nous c’est l’occasion de faire un diagnostic un peu plus large que simplement rajouter un an ou deux au PGE, et s’assurer qu’en fait on a bien un plan d’affaires, qu’il est bien financé, qu’il faut peut-être allonger d’autres crédits aussi, obtenir du new money, bref, faire un diagnostic plus large. Donc oui je conseille d’aller dans un mandat ad hoc puis une conciliation, de mettre ses prêteurs autour de la table et de faire constater la conciliation pour obtenir deux, trois, quatre ans de plus avec, le cas échéant, des franchises. Alors ça règle pas le problème de l’endettement global, mais en fait ça donne un peu plus de temps pour notamment passer cette période qui est une période inédite et assez exceptionnelle.

 

Pierre-Olivier, Hélène vous a tendu une perche. Qu’en pensez-vous ?

Pierre-Olivier Chotard

D’abord, effectivement il y a une montée des inquiétudes de certains chefs d’entreprise sur un non-remboursement, parfois dans les statistiques et dans la sinistralité qui est enregistrée dans les comptes de l’État. Aujourd’hui, on a des chiffres qui demeurent très faibles. Première nouvelle qui est plutôt pas mauvaise, au contraire, pour le contribuable. Deuxièmement, il n’y a aucun tabou en revanche quand il y a des difficultés pour restructurer un PGE quand c’est nécessaire. Effectivement, ça n’avait pas été conçu par la puissance publique pour être restructuré quand on l’a créé en mars 2020. D’abord parce que ça a été créé dans l’urgence, et on n’a pas commencé à penser si on allait le restructurer. Puis, on pensait que ça serait temporaire, aisément remboursé et puis vous avez connu la suite de l’histoire. Et donc effectivement, comme ça a été rappelé, on a su modifier le dispositif avec les autorités européennes pour que ça puisse être restructuré. Et donc il y a un certain nombre de grands cas dans lesquels c’est possible, Hélène les a rappelés, et donc il y a pas de tabou, l’État est prêt à accepter des abandons quand c’est nécessaire.

Bon une fois qu’on a dit ça, la question est : comment on le fait ? Et effectivement mon cheval de bataille et mon quotidien, c’est qu’il y a un certain nombre de grands principes qui, à nos yeux, doivent être respectés quand on veut restructurer un PGE. Le premier, c’est que ça doit être fait dans un cadre global : on n’annule pas un PGE par pur confort, parce qu’on se dit : « ah bah mon passif va être allégé d’autant, donc faisons-le », parce que dire ça, ça veut dire faire le choix à la place des décideurs publics et qu’en fait, on transforme un prêt en subvention. Et jusqu’à preuve du contraire, ça n’a pas été le choix de la représentation nationale que de faire cela. Donc si on le fait, c’est pas pour le confort du chef d’entreprise.

Deuxièmement, et on s’y bat tous les jours, il faut que ça soit fait de manière équitable. C’est la base du restructuring, mais si on demande de restructurer la ligne qui est garantie par l’État, il n’y a aucune raison pour que les autres créanciers, bancaires ou autres, continuent d’être remboursés. Pas équitable. Donc le principe de base qu’il nous semble indispensable de suivre, c’est que toutes les autres créances de même rang, donc les créances chirographaires, soit traitées de manière équitable avec le PGE. On restructure le PGE, c’est nécessaire, très bien, mais ceux qui sont dans la même classe que nous font le même effort, sinon c’est injustifiable. Voilà.

Et puis dernier principe qui nous semble important, qui est un principe économique et financier de base qui nous paraît sain, c’est que, on fait l’effort, on restructure parce qu’aujourd’hui c’est nécessaire, mais si demain ça va mieux ; dans ce cas-là il n’y a aucune raison pour que ne soient pas mis en place des dispositifs qui permettront de récupérer les sommes que l’État a initialement abandonnées parce que l’entreprise se retourne. Et donc là il y a plusieurs dispositifs qui sont possibles. Il y a des clauses de retour à meilleure fortune, qui, en gros, nous permettent d’être remboursés si finalement la société se retourne mieux et plus vite qu’anticipé. Il y a la conversion du PGE éventuellement en titre de capital, qu’on a su faire dans un cas aujourd’hui, qui là encore nous permet de récupérer la perte qu’on encaisse aujourd’hui dans l’hypothèse où l’avenir est plus rose.

Le cas que vous évoquez est Pierre et Vacances, qui est l’exemple, puisque chaque année on change les exemples dans le Vernimmen, donc dans le chapitre 50 cette année vous trouverez la restructuration Pierre et Vacances. Donc c’est le seul cas jusqu’à présent où on a transformé un PGE en capitaux propres, et donc ce que je comprends, c’est que si ça va mieux chez Pierre et Vacances et que les actions sont placées à un moment donné dans le marché à des tiers et que l’État fait une plus-value, ça bénéficie bien à l’État et donc à la communauté des contribuables et des citoyens, c’est bien ça la logique ?

 

Pierre-Olivier Chotard :

Ça fonctionne exactement comme ça, et, d’ailleurs, bravo, le cas est très bien expliqué dans la nouvelle édition du Vernimmen. C’est effectivement le seul cas qu’on a fait à ce jour, parce que, en réalité, c’est des montages juridico-financiers qui sont assez complexes, qui sont coûteux du coup aussi pour l’entreprise parce que ça nécessite en l’espèce la mise en place d’une fiducie. C’est coûteux, ça prend du temps et puis quand on convertit de la dette en titre de capital, on a un enjeu de sortie, et donc on a un enjeu de liquidité à la sortie du marché, et donc ça marche bien en réalité aussi en particulier dans les cas où l’entreprise est cotée, et donc où il y a une profondeur, une liquidité du marché qui permet, le jour où on veut recéder les titres convertis, de le faire. Mais effectivement, ça marche comme ça, la garantie est appelée parce que le prêt est considéré comme ne pouvant être remboursé, donc les finances publiques contribuent à ce moment-là, en revanche, si dans X années le titre Pierre et Vacances connaît une forte plus-value, et bien la plus-value à hauteur de ce qu’était la quotité de la garantie de l’État reviendra in fine dans les caisses de l’État, et donc viendra en moindre dépense pour l’État sur cette opération.

Et ma dernière question sera pour toi, Hélène. On a eu deux exemples où les banques ont transformé en capitaux propres leurs créances, qui étaient sur Saur et Bourbon. Deux exemples qu’on avait traités dans le Vernimmen dans des éditions antérieures. Avec le recul, tu estimes que c’était la bonne décision à prendre pour elles ?

Hélène Bourbouloux :

Je pense que sur Bourbon c’est un peu tôt pour le dire. Je pense que le cas a été particulièrement difficile, je pense qu’il y a des phénomènes de marché qui sont plutôt positifs actuellement, mais je pense que c’est très difficile. Pour moi, c’est deux dossiers qui n’ont rien à voir. Je pense que le choix fait dans Bourbon est un choix peut-être imposé par la situation, et donc les banques ont eu le courage d’y aller, je sais pas s’il y avait une meilleure alternative, mais je suis pas convaincue par le cas Bourbon.

En revanche je suis très convaincue par le cas Saur, parce que sur la Saur les banques ont été finalement entièrement remboursées. J’observe que, néanmoins, c’est un dossier qui m’a beaucoup marqué, et je pense que le niveau de contraintes qu’on a placé en contrepartie était nécessaire pour que les banques elles-mêmes soient totalement payées à la fin. Je m’explique : dans ce deal-là, on a deux établissements bancaires français qui ont pris le lead, qui étaient le groupe BPCE-Natixis et BNP Paribas et on a imposé en fait par la gouvernance – donc c’est quand même assez intéressant même de voir que ça impacte beaucoup le sort de l’entreprise – on a imposé que ces deux banques françaises gardent une minorité de blocage, et qu’elles ne pourraient en fait perdre cette minorité qu’à la faveur de la mise en vente totale du groupe.

Donc on a imposé une stabilité dans la gouvernance, qui était nécessaire, parce que dans toutes ces opérations de lenders lead, c’est-à-dire de prise de contrôle par des créanciers, il y a deux types de créanciers. Vous avez celui qui achète de la dette volontairement pour prendre le contrôle, cf. Apollo dans Vallourec. Et puis il y a celui qui est là et qui va assumer une prise de contrôle en espérant retrouver, capter en fait, la valeur future d’equity en contrepartie de son risque initial de créancier impayé. Et les expériences précédentes montraient que le bât blessait lorsqu’on trouvait des conflits d’intérêts entre les créanciers actionnaires qui, pour partie, restent encore créanciers, parce que toute la dette n’était pas convertie dans un dossier comme la Saur. Et on avait un débat à l’époque sur la valeur, c’est souvent le cas : les banques voulaient laisser un peu plus de dettes au bilan et l’entreprise, elle, luttait un peu pour avoir un peu moins de dette au bilan. Donc on avait créé une tranche de dette, qui était alors hors standard financier, qu’on avait appelé la Flex. Flex parce que flexible, et donc c’était une tranche, alors c’était pas tout à fait des ORA (obligation remboursable en actions). On avait une tranche intermédiaire qui était une obligation, qui pouvait être convertie en ORA si en fait l’entreprise n’atteignait pas son BP, et qui restait en dette si elle atteignait son BP.

Donc ça c’était un premier élément. Il y a le deuxième élément, c’était de garder cette stabilité de gouvernance. Et le troisième élément, c’est qu’il y avait des activités distinctes, et en particulier une filiale qui pouvait être vendue et qui aurait généré un produit significatif. Moi, ma conviction, c’était que si on vendait cette filiale, en réalité, il fallait à ce moment-là être cohérent et que le groupe soit totalement mis en vente à ce moment-là, et puis les créanciers retrouvaient le prix qu’ils pourraient de ces cessions-là. Et que si, en revanche, ils voulaient retrouver la totalité de la créance, il faudrait probablement que le prix de cession de cette filiale, plutôt que d’être reversé immédiatement au créancier, soit contributif de la valeur du groupe, reste dans le groupe. Et c’est ce qui s’est passé avec un peu de pression.

Alors il faut se rappeler que la Saur, c’est l’eau, c’est en France, enfin c’est pas délocalisable. Certes il y a 80 % de taux de syndication, mais c’est très lisible, c’est un marché avec des collectivités, c’est très très différent du marché Bourbon, ou de la société Bourbon qui est issue d’une collection d’entreprises familiales qui ont été achetées, qui opère à l’étranger. Le cas Saur est une bonne opération, et je suis très contente que ces banques-là l’aient fait. Je ne suis pas sûre que s’il y avait eu un pool avec huit établissements… ça n’aurait probablement pas marché. Parce que ces deux établissements représentaient un tiers, mais ça veut dire que les deux autres tiers c’était des fonds et des fonds dette quand même beaucoup plus aguerris à ce type de schéma et qui donc ont été plutôt supportifs de ce schéma, et certains sont d’ailleurs rentrés après. Donc c’est une très bonne chose. Et aujourd’hui ce sera encore plus facile avec la loi en place.

Enfin, à l’époque le problème de l’actionnaire n’en était pas un, ils ont pas été capables de matcher une solution. Si les actionnaires en place proposent une solution acceptable, il est normal qu’ils aient une forme de priorité : c’est eux qui ont pris le concept aux États-Unis. S’ils n’en font pas, ils ne peuvent pas empêcher les autres, et aujourd’hui le système ne leur permet plus en fait de prendre en otage une restructuration.

 

[1] NDLR : c’est-à-dire une action dont la valeur est négative du fait d’un montant de dettes supérieur à la valeur de l’actif économique.

[2] Cet entretien a eu lieu fin novembre 2022 quand la Chine était encore en régime de confinement.