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Le retour des entreprises payant des dividendes
17/05/2023

Article

Le retour des entreprises payant des dividendes

Nous revenons ici sur les changements spectaculaires de la politique de distribution de dividendes depuis la fin des années 1970 !

Le retour des entreprises payant des dividendes
par Pascal Quiry

La politique de distribution de dividendes fait partie des sujets les plus mal compris en finance, qu’il s’agisse du grand public qui prend le plus souvent les dividendes pour une rémunération, des professionnels qui gèrent de façon sous-optimale les dividendes reçus[1], ou même des chercheurs qui éprouvent des difficultés à expliquer les changements de comportement des entreprises en la matière. L’article que nous présentons ce mois[2] expose de façon factuelle des changements assez spectaculaires dans cette politique depuis la fin des années 1970, sans que l’essentiel de ces changements ne puisse être expliqué par les caractéristiques des entreprises.

 

La principale observation de l’article porte sur un inversement de tendance en l’an 2000. Entre 1978 et 2000, les dividendes versés par les entreprises cotées américaines ont connu une baisse régulière, si bien que certains prévoyaient leur future disparition. La tendance portait tant sur la fraction d’entreprises versant des dividendes (qui est passée de 73 % à 23 %) que sur les montants versés. Par la suite, entre 2000 et 2018 (date de fin des observations, donc avant la crise Covid), la tendance s’est inversée. Sans retrouver les montants de 1978, les dividendes ont augmenté et la fraction d’entreprises en versant est passée à 36 %.

 

Si le versement des dividendes est l’une des politiques d’entreprise les plus facilement observables (c’est un versement de numéraire, les données sont fiables), la source des variations est difficile à identifier. Les auteurs de l’article se sont évertués à distinguer d’une part, les variations liées à des changements de caractéristiques des entreprises, et d’autre part, les variations dans les taux de versement à caractéristiques équivalentes. Entre 1978 et 2000, la disparition des dividendes est due à parts égales aux deux phénomènes. Mais depuis l’an 2000, le changement de caractéristiques n’explique que 18 % de la remontée des dividendes. Et parmi les caractéristiques testées, une seule induit une hausse des dividendes et explique ces 18 % : la réduction de volatilité des bénéfices. Ainsi, la quasi-totalité du phénomène de retour aux dividendes (82 %) est observée « toutes choses égales par ailleurs », à caractéristiques équivalentes des entreprises.

 

Les auteurs montrent aussi que la date d’introduction en Bourse joue un rôle important dans la tendance à verser des dividendes. Entre 1978 et 2000, le phénomène de disparition est principalement expliqué par les entreprises nouvellement introduites en Bourse (donc après 1978), ces dernières versant moins de dividendes que les entreprises déjà cotées. De même, après l’an 2000, le retour aux dividendes s’explique en grande partie par la sortie de la cote des entreprises ne versant pas de dividendes. Il y a donc un phénomène de cohorte (pour parler comme les économistes) ou générationnel dans la politique de dividendes. Précisons également que les auteurs vérifient que toutes ces observations ne sont pas la conséquence d’une simple substitution entre dividendes et rachats d’actions. En incluant les rachats d’actions, les tendances sont un peu atténuées mais les observations demeurent statistiquement et économiquement significatives.

 

En conclusion de cette synthèse, le lecteur fidèle remarquera que l’an 2000 fut une année d’inflexion de pas mal de tendances en finance d’entreprise. C’est en l’an 2000 que l’on a connu le plus d’entreprises cotées dans le monde, et que le private equity a commencé à connaître le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. C’est aussi cette époque qui a vu l’explosion du succès de la gestion passive avec notamment les ETFs (Exchange Traded Funds). Au même moment, en lien avec la montée de la gestion passive, les fonds activistes se sont développés et sont devenus des acteurs majeurs de la gouvernance des entreprises cotées, même pour celles qui n’ont pas été ciblées[3]. Enfin, et l’article le montre, l’an 2000 constitue un point bas dans le versement de dividendes, et la disparition des dividendes imaginée par certains auteurs à l’époque n’a pas eu lieu car la tendance s’est inversée. Sans se lancer dans la numérologie ou croire en la magie des chiffres ronds, il est possible que la concomitance de ces phénomènes ne soit pas le fruit du hasard. Dès lors, une question resterait sans réponse : que s’est-il passé en l’an 2000 en finance pour que l’on observe autant de changements de tendances ?

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

[1] Voir à ce sujet « Erreur sur les dividendes : les professionnels aussi ! » dans La Lettre Vernimmen.net no 176 de février 2020.

[2] R. Michaely et A. Moin, « Disappearing and reappearing dividends », Journal of Financial Economics, vol.143-1, pages 207 à 226.

[3] Pour comprendre ce phénomène, voir l’ouvrage coécrit par l’auteur de cette chronique « Les fonds activistes : modes d’action, stratégies et résultats » par S. Gueguen et L. Melka, 2021, Dunod.