Article
Alors que la dynamique des SPACs est en perte de vitesse très rapide aux États-Unis : deux opérations de despacking viennent d’être menées en Europe sur des actifs importants dans le domaine des médias : Betclic et Deezer.
À l’inverse, aux États-Unis, le SPAC le plus important jamais levé (« Tontine » mis en place par Pershing Square qui avait levé 4 Md$) a annoncé rendre les fonds levés aux investisseurs faute d’avoir pu trouver une cible. Les raisons de l’essoufflement aux États-Unis sont multiples.
Plus de 850 SPACs ont été introduits en Bourse en 2020/2021, mobilisant 240 Md€. La majorité de ces véhicules (plus de 550) sont encore à la recherche de leur cible !
… Et une attention particulière de la SEC sur ce type d’opérations. Les nouvelles règles adoptées en mars par les autorités boursières américaines font porter une responsabilité juridique plus importante aux banques réalisant l’introduction en Bourse du SPAC. Et alignent les règles d’information des despackings sur les normes jusqu’ici réservées aux « vraies » introductions en Bourse.
Face à un marché devenu sensiblement plus volatil et avec un risque réputationnel plus fort, les banques préfèrent se retirer. Ainsi en mai dernier, Goldman Sachs et Bank of America ont annoncé qu’ils allaient non seulement arrêter de conseiller les SPACs pour leur despacking, mais également ne plus participer à l’introduction en Bourse de nouveaux SPACs.
Un sacrifice limité, alors que le marché des fusions-acquisitions s’est grandement calmé. Et que les introductions en Bourse de SPACs ont été divisées par 4 au 2e trimestre. Après avoir très largement profité des commissions versées par les SPACs, mieux vaut se retirer sur la pointe des pieds alors qu’il va nécessairement y avoir beaucoup de casse dans le marché. Notamment un nombre important de SPACs ne trouvant pas à se marier.
Le marché actuel rend les opérations de despacking beaucoup plus aléatoires. Et ce même quand la cible a été identifiée. Sur le seul mois de juin, une dizaine d’opérations pourtant annoncées au marché ont été annulées à cause des conditions de marché.
La dynamique semble bien plus saine en Europe :
Bien que la structure soit intéressante et a certainement sa place dans la boîte à outils du financier*, les SPACs nous semblent être quelque peu un marché de dupes :
Le marché des introductions en Bourse de SPACs s’est très rapidement orienté vers des hedge funds intéressés uniquement par l’option et n’ayant aucune intention de laisser les fonds lors du despacking. Ainsi les demandes de remboursement atteignent plus de 80 % des fonds levés initialement… Tout ça pour ça !
Les groupes despackés ne prennent pas le risque d’introduction en Bourse mais ont généralement un flottant faible et donc une liquidité tronquée. En effet, le risque de marché est éliminé et remplacé par une négociation de gré à gré avec le management du SPAC. Une fois l’accord trouvé, il peut être annoncé sans risque (théoriquement) sur la capacité de mener à bien l’opération.
Deux bémols à cela :
Les sponsors semblent les grands gagnants des SPACs car ils bénéficient d’actions gratuites représentant généralement 20 % du capital avant despacking. C’est oublier qu’ils ont investi quelques millions au départ pour couvrir les frais du SPAC avant despacking :
Ces sommes sont perdues si le SPAC ne trouve pas à se marier. Ce scenario est loin d’être improbable. Par ailleurs, ils doivent parfois faire des concessions (abandonner une partie de leurs actions gratuites) dans la négociation du despacking.
Le nom SPAC est devenu une duperie. Le « A » de SPAC tient pour « Acquisition », mais c’est une illusion perdue depuis longtemps. Les SPACs n’achètent pas (plus) leur cible (ou en tout cas c’est extrêmement rare), elles fusionnent avec elle. Il est vrai que SPMC (avec un « M » pour « Merger ») est moins vendeur…
Mais le marché n’est pas moribond : sur 124 introductions en Bourse au premier semestre aux États-Unis, plus de la moitié (73) étaient encore des SPACs. Certes, il est plus facile aujourd’hui de vendre un papier sans risque grâce à l’option de revente au nominal au moment du despacking qu’une action d’une valeur technologique !
Et pour des investisseurs obligés de détenir tout ou partie de leur portefeuille en actions, la poche SPACs de leur portefeuille est un pôle de stabilité dans un contexte boursier baissier et les warrants constituent une option gratuite sur un retournement.
Le marché va indubitablement se normaliser, les volumes délirants de 2020/2021 ne se reverront très certainement jamais. Ce n’est pas pour cela que le produit est mort, car il permet de s’introduire malgré tout en Bourse, même quand le temps boursier n’est pas propice. Si Deezer a chuté de 44 % depuis son introduction en Bourse via un SPAC début juillet, FL Entertainment n’a reculé, quant à lui, que de 5 %.
*Sur ce sujet, nous renvoyons notre lecteur à l’échange captivant que nous avons eu avec Emmanuel Hasbanian.